L’artiste belge Jérôme Porsperger s’est installé, comme un amical virus, au Lobe et dans la ville, pour une intervention tous azimut mais en trois temps sur le thème de la musique classique avec l’intention générale de la faire connaitre et plus exactement de la sortir du ghetto où, selon lui, elle croupit et bientôt s’éteindra. Il s’agissait, premier temps, mettons allegro ma non troppo, de diffuser cette musique oubliée des médias de masse en l’inscrivant dans un paysage urbain qui n’en garde qu’un répertoire de noms censément prestigieux ; en allant distribuer des disques de certains compositeurs aux habitants des rues qui portent leur nom, l'artiste espérait que leur curiosité ferait le reste : une pénétration en quelques sorte souterraine et aléatoire, un essaimage dans l’espace privé. Pour reprendre la métaphore du virus, il était donc question d’infection et d’épidémie mais bienfaisantes. Deuxième mouvement, andante, rencontres avec des personnalités musicales de la région, tels Jacques Clément et Nathalya Thibault, ou de simples amateurs. Ces entretiens agrémentés d'écoutes diverses avaient pour but de déterminer pour chacun un type d'intervention possible lors de la soirée du vernissage. À ce stade, Porsperger le démarcheur devenait récepteur, le diffuseur hôte et le soliste membre d’un orchestre informel à constituer pour le grand « concert » du vernissage.
La finale, allegretto, fut, en effet une performance en trio au milieu de l’installation en forme de squat préparée dans la salle d’exposition du Lobe. Dans cet espace qu’on pourrait qualifier de semi-privé, conçu en quelques sorte comme la résultante des deux premiers – investir l’espace privé de l’autre, puis le recevoir dans son espace privé à soi : le centre d’artistes où on avait élu résidence – s’est déroulée une performance où tout, de la prestation de chacun au décor qui ma recevait, devait déconstruire la salle de concert traditionnelle considérée comme un espace compassé croulant sous l’ennui des dorures et des fracs et hantée par une élite prétentieuse et friquée.
C’est ainsi qu’après l’interprétation d’une mélodie de Rimski-Korsakov par Nathalya Thibault, Porsperger se livra à une interprétation à la fois désopilante et émouvante de l’air final pour soprano de l’opéra Didon et Énée de Purcell, chevauchant une bicyclette stationnaire et pédalant avec entrain, parfois même « en danseuse », comme s’il faisait ainsi de la musique pour lui-même, chez lui, sans cérémonie, dans un squat plutôt crade ravagé de graffitis déclamatoires faits de noms propres (Bach, Gould, Mozart, etc.) et de proclamations adolescentes, souvent en anglais, à la gloire de la musique classique.
Et quand les deux compères, à qui s’était jointe Marilyn Bédard, ont entrepris de déambuler dans la salle d’exposition en dirigeant à grand gestes emphatiques les orchestres qui emplissaient leurs écouteurs, donnant ainsi à la musique muette une visibilité bon enfant, le titre du projet Atomic Class Sick a pris tout son sens, depuis le jeu de mot refusant le classique comme un art de classe dont on est « malade »(« tanné, dirait-on chez nous), jusqu’à l’explosion, la germination, l’éparpillement, l’individualisation que le mot « atomic » porte et qui fait de Jérôme Porsperger l’attachant paradoxe qu’il incarne : un artiste conceptuel dionysiaque.
Jérôme Porsperger par Jean Pierre Vidal
Jean Pierre Vidal - 01/2011